A380 et B787: les leçons du project manager

December 13, 2009

Airbus et Boeing sont d’accord: 2009 sera leur année perdue. Les nouvelles commandes se sont fait rares. Pire, les deux ont été absorbés par les difficultés héritées des années folles d’avant la crise. Pour Airbus c’était l’A380, pour Boeing le B787 Dreamliner. Dans les deux cas, la récession n’a pas été la seule coupable. Les deux programmes ont souffert d’erreurs courantes. Même si les détails sont très complexes, les défaillances à la base sont typiques. Elles se reproduisent jour après jour partout où de travail se réalise en équipe.

Les retards de l’A380 dus au câblage et à la réorganisation de l’intégration des composants peuvent être tracés à la coexistence de deux et plus tard probablement même trois “versions” des mêmes fichiers. A départ, l’architecture de l’avion était centralisée à Toulouse. A un moment indéterminé, des mises à jour à Hambourg n’ont pas été incorporées aux fichiers “mère” à Toulouse. Sur les deux sites, les équipes se sont désormais basées sur les informations jugées correctes en bonne foi. Les écarts sont apparus lors de l’assemblage des éléments. Les cellules déjà existantes ont dû être adaptées de manière rétroactive. Celles dont la fabrication était programmée ont subi des retards suite à l’adaptation. Enfin, toute la chaine de production a été mise à jour. Les trois facteurs cumulés ont créé des retards de deux ans.

Quelles leçons en tirer? Les responsables de projets, sans parler des managers, ne doivent jamais négliger un risque. Partout où plusieurs personnes ont accès au même fichier comme par exemple un document word, le contenu est à vérifier après chaque intervention. Si le fichier circule ensuite, par exemples dans les autres divisions de l’entreprise, il se peut que les versions se “multiplient”. Les seules manières d’empêcher ce genre de surprise est la désignation d’une seule personne habilité à coordonner et intégrer les changements. Somme toute, le retard de l’A380 n’est pas lié au savoir-faire des ingénieurs mais le manque de prudence des gestionnaires.

Même les problèmes du B787 Dreamliner sont évidents à la base. L’avionneur de Seattle a décidé de reprendre le leadership après des années à la traîne du challenger européen. Deux décennies de priorité donnée au profit à court terme au détriment du bénéfice à long terme ont affaibli le constructeur. Au lieu de répondre aux défis européens par de nouvelles gammes, les managers américains ont préféré minimiser les investissements. Plus ils sont bas, plus le profit et par là le cours des actions monte. Cette pensée d’actionnaires ou “shareholder value” a été le crédo du néolibéralisme dès le milieu des années 80. Lentement, Airbus s’est imposé comme le plus innovant des deux fournisseurs. Le seul programme récent durant ces années était le B777 Triple Seven. Lancé avant ce changement paradigmatique et déjà bien avancé, il était maintenu. Sa réputation n’était déjà plus à faire. Ses qualités ont démontré le savoir-faire des ingénieurs et ouvriers de Boeing de l’époque. Or, les gestionnaires à la Wall Street ne leur ont pas permis de répliquer aux défis de Toulouse par des modèles adéquats.

Littéralement au dernier moment, une nouvelle direction a effectué un revirement. Le B7E7, devenu le Dreamliner par la suite, devait offrir des sauts technologiques aux opérateurs des gros porteurs de moyenne capacité analogues à ceux de l’A320 dans le ségment des monocouloirs.

Boeing ne s’est pas contenté de pousser au maximum les inventions, au contraire, elle a aussi révolutionné la fabrication. Un réseau de partenaires internationaux devaient fournir les éléments. Or, contrairement à Airbus, Boeing manquat d’expérience en production décentralisée. En même temps, la valorisation décroissante des ingénieurs et ouvriers également par le management a poussé de nombreux vétérans à quitter l’entreprise. Il faut noter également que les plus anciens, donc ceux avec la plus grande ‘expérience, ont été virés par la direction dans un souci d’économies à court terme. Quant au savoir-faire de la relève… n’en parlons pas. Somme toute, Boeing a simplement été débordé par l’intégration faute de concordance.

Les leçons à tirer ne manquent pas non plus. La première, cruciale,  est de ne jamais négliger les intérêts de l’entreprise à long terme. Une autre est de valoriser les spécialistes, donc ceux qui font marcher l’entreprise. Ce ne sont ni les managers ni les directeurs financiers qui génèrent les recettes à l’entreprise. Ce sont les chefs d’atelier ou les directeurs d’usine. Enfin, l’externalisation de savoir-faire est toujours à examiner avec les plus grands soins.

Les deux débâcles nous lancent un avertissement. C’est moins la complexité innée des deux projets mais plutôt le changement d’attitude des dirigeants. Des soucis de réduction des coûts de fonctionnement à tout prix peuvent entraîner des erreurs du type A380. Rajoutons la pression, le stress et l’arrogance de nombreux chefs. Si l’on rajoute le manque de vision stratégique à cela, on obtient vraiment un mélange explosif. Même des démarches de “outsourcing” d’étapes essentielles de la fabrication du bien fourni traditionnellement par ses propres soins peut mener au désastre. Espérons que l’histoire ne retienne le Dreamliner comme le programme cauchemar qui a ruiné Boeing.

Dans les deux cas, le changement d’attitude fatal inspirée par le néolibéralisme est le vrai coupable. Pour conclure, retenons un autre fait: Les difficultés des deux programmes et leurs origines étaient connues avant la récession et même la crise de 2007. Des analyses ont démontré que ce paradigme qui remonte aux années Reagan aux Etats-Unis et Thatcher au Royaume-Uni avait brouillé les cerveaux des décideurs au plus haut niveau.

Or, dans l’après-crise, avons nos décideurs et politiciens vraiment tiré les bonnes leçons. Sont-ils, pardon, sommes nous, prêts à changer de vision du profit financier à court terme au bénéfice technologique et social à long terme? Le doute est permis. Ou bien, pensez-vous que c’est faux?

Daniel Stanislaus Martel